Le salaire de la note


          Dans certains établissement scolaires de Marseille les lycéens qui suivent régulièrement les cours sont récompensés de leur assiduité par des billets pour des matchs de l'OM. Un homme politique a proposé récemment de récompenser financièrement les classes où le taux d'absentéisme serait faible … 

cité minière rénovée à Bruay 

 Dans les années cinquante les Houillères Nationales avaient établi un système de bourses pour les enfants de mineurs qui avaient été jugés par leur instituteur dignes d'entreprendre des études secondaires. Ce système  pourrait donner des idées à nos dirigeants toujours en recherche de moyens pour inciter nos jeunes à plus de travail et plus d'assiduité. 
            A peu près à la même période que celle de l'examen d'entrée en sixième le futur lycéen passait le concours de la bourse des mines. Pour l'arrondissement de Béthune ce concours avait  lieu dans les locaux des bureaux des mines à Bruay-en-Artois (comme on disait alors) et les épreuves s'étalaient sur toute la journée. Un repas était servi le midi aux candidats. C'est durant les vacances d'été que les résultats étaient communiqués aux familles.
·         C'est ainsi que durant l'été 1953, alors que j'étais en colonie de vacances (des houillères bien entendu) j'entendis dans les haut-parleurs du parc de la "colo" que j'étais convoqué chez le directeur ainsi qu'un autre garçon que je ne connaissais pas. Dans le couloir j'ai retrouvé ce garçon de mon âge qui se demandait sans doute lui aussi quelle bêtise il avait pu faire pour être convoqué chez le directeur. En fait celui-ci voulait nous annoncer notre succès au concours de la bourse des mines. C'est comme cela que j'ai fait la connaissance de Serge Musart qui devait devenir mon camarade de classe et qui est à côté de moi sur la photo de notre promo 1958-59 parue dans le bulletin précédent et présent lors des retrouvailles de cette promo en mars 2010.

             Le classement à ce concours était très important pour l'année de sixième. Le montant de la bourse pour cette première année au lycée était en effet établi à partir de deux critères, et ce principe allait perdurer jusqu'à ce que la bourse ne soit plus attribuée lorsque par exemple le lycéen était reçu à la "2ème partie de bac".

             Le premier critère était les revenus familiaux, ce qui revient souvent à dire pour l'époque, le salaire du père. Ce salaire décidait en effet de la part attribuée sur la valeur maximale de la bourse qui était de 6/6.  Exemple : supposons que la valeur maximale de la bourse est de 3000 € (pour parler dans la monnaie actuelle). Si les revenus du père donnent droit au fils  à une bourse calculée sur le taux de 6/6 (ce sera le cas par exemple d'un mineur exerçant la spécialité de "conducteur de chevaux" qui était une catégorie dans laquelle on reclassait les mineurs qui n'étaient plus capables d'abattre le charbon*) il touchera le maximum de 3000 €. Un mineur à l'abattage qui gagnait plus qu'un conducteur de chevaux n'aurait eu droit qu'à 5/6 donc 2500,   un porion peut-être 4/6 donc 2000 et ainsi de suite.

* Contrairement à la plupart des métiers où le savoir-faire et l'expérience grandissant avec l'âge entraînent une augmentation progressive du salaire, le mineur voyait ses revenus baisser au fur et à mesure que, sa forme physique diminuant avec l'âge, il ne pouvait plus effectuer certaines tâches : il était alors reclassé (le terme déclassé conviendrait sans doute mieux) dans une catégorie inférieure moins bien rétribuée.

             Le 2ème critère était le travail de l'élève. Comme il n'avait pas encore commencé ses études secondaires c'est son rang au concours de la bourse des mines qui décidait du pourcentage que toucherait sur ce maximum de 2500 €  le fils du haveur (=  mineur à l'abattage) pour son année de sixième : si 150 candidats s'étaient présentés au concours et que notre lycéen était classé entre le 30ème et le 50ème rang il percevait entre 70 et 80 % des 2500 euros, plus le rang s'approchait du premier plus le montant perçu s'approchait de la somme maximale. Le montant total de la bourse était versé en trois fois. Dès le premier trimestre de sixième ce sont les résultats en cours qui décidaient du montant de la bourse pour l'année de 5ème. Les résultats en 5ème décidaient du montant de la bourse en 4ème, et ainsi de suite.

             Tous les ans la famille devait donc remettre aux service des bourses des mines à Douai un document rendant compte du salaire annuel du père. Quant au fils il devait chaque trimestre se livrer à un pensum fastidieux :  il  recopiait manuellement et intégralement son bulletin scolaire, car les machines à écrire étaient aussi peu répandues  chez les mineurs que les photocopieuses dans les administrations. Ensuite il se rendait à la mairie de sa commune avec son bulletin manuscrit et l'original : un employé vérifiait l'exactitude de la copie et gratifiait celle-ci d'un tampon "copie certifiée conforme". Cette "copie" était ensuite envoyée au service des  bourses..

             La bourse des mines avait le droit d'être cumulée à la bourse d'état, appelée alors "bourse nationale" (dont le montant était nettement moins élevé),  elle était suspendue automatiquement en cas de redoublement ce qui n'était pas le cas de la bourse nationale. Par contre elle n'était pas cumulable avec la bourse départementale (qui était la plus maigre) .

            Pour les enfants des familles les plus modestes dont les résultats étaient satisfaisants, le cumul des deux bourses citées ci-dessus permettait d'obtenir un montant qui était très proche du salaire d'une ouvrière du textile comme il y en avait tant chez les filles de mineurs (donc proche du SMIG).

            Mon classement au concours avait été très honorable mais, après un premier trimestre  en sixième  satisfaisant je m'étais endormi sur mes lauriers pour les deux suivants : j'appris à la rentrée en 5ème que ma bourse pour cette année n'atteindrait même pas 20% de son montant de l'année précédente. Mon père me dit alors simplement qu'on embauchait "à la fosse" et que je pourrais ainsi constater qu'une plume tombant sur mes orteils me ferait plus mal qu'un stylo :  j'ai compris immédiatement le message et j'ai redressé la barre dès le premier trimestre de cinquième. (Pour ceux qui l'ignorent je signale qu'une plume est, dans la langue des mineurs, le nom d'une pièce de charpente métallique - poids : quelques dizaines de kilos - qui servait à soutenir le " toit"  d'une galerie). Lors de l'entrée en 4ème ma bourse retrouva un niveau dont elle ne s'éloigna plus.

             Certains boursiers optaient à partir de la seconde pour une autre formule : ils signaient un contrat avec les Houillères qui leur versaient alors un salaire et ils  intégraient l' Ecole des Mines de Douai où ils suivaient une formation d'ingénieur de plusieurs années au cours de laquelle ils devaient également effectuer 400 jours "au fond" pour leur formation pratique. C'était en quelque sorte les " IPES" de la mine.

            L'attribution de la bourse des mines – qui pouvait être totalement supprimée en cas de résultats insuffisants même sans redoublement – durait jusqu'à l'obtention du baccalauréat, mais les boursiers des mines qui s'orientaient vers la médecine pouvaient continuer de percevoir cette bourse, d'ailleurs revalorisée, à condition de signer eux aussi un contrat qui les obligeait à devenir ensuite médecins des mines. Il leur était possible au bout d'un certain nombre d'années de racheter leur contrat.

            Une fois le baccalauréat obtenu, plus de bourse des mines : ceux dont les parents ne pouvaient plus financer la poursuite des études entraient dans la vie active, d'autres passaient le concours des IPES et percevaient en cas de succès un salaire presque équivalent à celui d'un instituteur mais devaient signer un contrat avec l'Education Nationale. D'autres encore finançaient leurs études supérieures en devenant  "pions". C'est comme cela que je me suis retrouvé 3 ans ''MI'' (maître d'internat) dans un Centre d'Apprentissage du Bâtiment (devenu entre temps CET puis LP) à Loos-les-Lille, ce qui me permit - en écoutant parler les élèves du cru - d'enrichir mes connaissances du patois ''chti'' artésien de quelques variantes lilloises.


Article paru dans le "Bulletin des Anciens et Anciennes Élèves et Fonctionnaires du Lycée Blaringhem" année 2011.