Daniel Brette
Durant
la première moitié de l’année 2008 la France entière a surfé sur la vague du
film "Bienvenue chez les chtis" et notre région s’est mise tout à
coup à trouver que notre patois avait droit de cité puisque il était désormais
de bon ton à la télévision de placer de temps en temps au cours du JT ou chez Drucker une citation en chti, quitte
parfois à écorcher les oreilles de ceux parmi nous qui n’ont jamais cessé de
pratiquer la langue de leurs aïeux.
Lors
du repas des Anciens du Lycée en 2008, il fut bien sûr question de ce film qui
battait tous les records de fréquentation, c’est alors que ma voisine de table,
Béthunoise émigrée chez nos voisins normands, énonça une contre-vérité :
le patois de notre région était pour elle du français déformé. Cela m’avait
déjà titillé l’esprit mais lorsque j’ai lu dans le numéro 577 de
"Marianne", que Mathieu Grimpret, professeur d’histoire et essayiste,
écrivait que le film voulait faire "voir dans ce mauvais français machonné
par des Rmistes mal nourris un patois séculaire", mon sang artésien s’est
échauffé et m’a inspiré la mise au point
que voici et que j'ai demandé à la rédaction de la revue Marianne de transmettre
à l'auteur de l'article, accompagnée d'un petit mot dans lequel j'espérais que
cette lecture le ferait changer d'avis sur la langue de chez nous. Je n'ai pas
eu de réponse.
Origines du Chti
D’abord
une précision : le terme "chti-mi" est une dénomination
relativement récente, dont l’explication est flagrante, mais dont l’origine est
nettement moins certaine : elle serait apparue lors des dernières guerres,
lorsque les conscrits du Nord-PdC ont rencontré sous les drapeaux des conscrits
venus d’autres régions et qui, frappés par la fréquence des "ch",
l’article défini, et des "ti" et des "mi" (pronoms
personnels 2ème et 3ème pers. du sing.), ont ainsi baptisé nos
parents ou grands-parents … ou arrière-grands-parents. Cette appellation a
commencé à se généraliser après les congés payés et la 2ème guerre
mondiale, pour atteindre son apogée avec le film de Dany Boon. Ce qui est
curieux, et corrobore la relative jeunesse du terme chti-mi devenu entre temps
simplement l’abréviation chti , c’est qu’un ouvrage édité par le CRDP de Lille
en 1980, intitulé "Le pays noir vu par Zola et Jules Mousseron", et
qui consacre tout un chapitre au parler du
Nord-PdC, n’utilise pas une seule fois le terme chti-mi, et bien sûr
encore mois celui de chti, qui d’ailleurs n’apparaît pas non plus dans les
dictionnaires que je possède … mais qui ne sont pas tout neufs.
Alors
quelle est l’appellation officielle, "scientifique", de notre parler
régional – je devrais d’ailleurs plutôt dire "de nos parlers
régionaux" ? C’est le rouchi, que le Larousse définit
simplement comme suit "patois du Nord de la France". Pour être plus
précis nous devrions dire que le rouchi est le parler du Hainaut
français,
c’est à dire à peu près la région de Valenciennes-Maubeuge, parler qui
trouve
ses plus belles illustrations dans les écrits de Jules Mousseron,
l’inventeur –
c’est volontairement que j’utilise ce mot, car on dit aussi inventeur
pour
celui qui découvre un trésor- J. Mousseron donc, inventeur du personnage
de
Cafougnette, sur lequel je reviendrai ultérieurement. L’appellation
chti-mi, plus
évocatrice que rouchi a fini par supplanter cette dernière et s’est
finalement
imposée pour désigner les parlers du Nord-PdC avec toutes leurs
variantes de
Boulogne à Maubeuge - mais pas le flamand encore un peu parlé dans la
Flandre française dont Bergues (Beurgue dans le film) fait partie
tout comme Cassel, Godesvaerveld, Steenvoorde etc., flamand donc qui,
lui, est
d’origine germanique.
Les
variantes auxquelles j’ai fait allusion plus haut s’expliquent par le fait que
nous parlons ici de langues de tradition presque exclusivement orale pour
lesquelles il n’existe pas de règles aussi strictes que pour la langue écrite,
qui ne sont pas enseignées en classe et dont la syntaxe, le vocabulaire
diffèrent parfois d’un lieu à un autre. Ces variations trahissent
"l’étranger" au village, au quartier voire au coron, tout en ne
l’empêchant pas de comprendre les autochtones et d’en être compris comme le
prouve cette courte blague que me racontait mon père.
-
Cafougnette, assisté par le porion,
demande un congé exceptionnel à l’ingénieur, qui lui explique que c’est
impossible. Cafougnette insiste et lui dit : " M. l’ingénieur, si vo
voudrott’ vo pourotte’ ". L’ingénieur, un Parisien, ne comprend pas, le
porion s’avance alors pour faire l’interprète "Escusez le M’sieur
l’ingénieur, i voulo dire que si vou voudrett’, vous pourett’ " *
…
Il n'était sans doute pas du même coron que Cafougnette.
*
Au cas où... voici la traduction : « si
vous vouliez, vous pourriez ».
Revenons
en maintenant à l’origine de notre patois, je vais faire pour ce qui suit
quelques emprunts à l’ouvrage que j’ai cité plus haut.
La
Gaule, tout le monde le sait, fut occupée par les Romains, ou plutôt l’armée
romaine, qui comptait dans ses rangs de nombreux mercenaires dont la langue
maternelle n’était pas toujours le meilleur latin. C’est ce latin déjà déformé
qui fut imposé à nos ancêtres, lesquels en l’apprenant lui apportèrent de
nouvelles déformations car, lorsqu’un conquérant impose sa langue au pays qu'il
occupe, celle-ci n’arrive pas en terrain vierge comme lorsqu’un enfant apprend
sa langue maternelle, elle se superpose
à la langue du vaincu, le substrat.
Ne sachant pas toujours reproduire exactement les sons de l'idiome
étranger, l'autochtone va peu à peu modifier celui-ci. Le latin de l’occupant
va donc dans les siècles de la domination romaine s’imprégner des langues
préexistantes et se modifier de façon différente selon le substrat auquel il va
peu à peu se substituer. En clair cela veut dire : la façon dont un Celte
perçoit un mot latin, et celles avec laquelle il reproduit ce mot, est
différente de celle avec laquelle un Ibère
perçoit le même mot et le reproduit, ce qui explique pourquoi le latin a
donné dans un pays le français et dans un autre l’espagnol. Donc une fois
l’occupation romaine digérée sur le plan linguistique, la France se trouve
partagée en deux zones de parlers romans (c. à d. issus du latin,) les pays de
langue d’oc et les pays de langue d’oïl. Oc étant la façon de dire oui pour les
parlers du sud et oïl pour les parlers du nord. Parmi les langues d’oïl il y
avait, entre autres, le francien et le picard. La zone linguistique du picard
était bien plus vaste que la zone géographique appelée maintenant Picardie
puisqu’elle englobait l’actuel Nord-PdC, la Somme, l’Aisne, une partie de
l’Oise, de la Normandie et de la Wallonnie. Les rois de France parlaient eux
aussi une langue d’oïl, que j’ai appelé plus haut le francien, c’est cette
langue qu’ils imposèrent à tout le territoire au fur et à mesure que leur
pouvoir s’étendait géographiquement, et qui est devenue le français. Cette
langue trouva dans la zone sud un terrain différent puisqu’on y parlait des
langues d’oc, les habitants de ces régions assimilèrent la langue nouvelle avec
des habitudes préexistantes différentes de celles du Nord, d’où à l’arrivée un
résultat différent. Ceci n’a l’air de rien mais je suis en train d’ expliquer
pourquoi les gens du midi parlent "avé l’assent". Désolé pour ceux
qui croyaient peut-être que l’accent du midi était du au soleil.
Revenons chez nous. Le parler du roi va s’imposer également dans notre région mais le parler local va subsister, modestement, honteusement même parfois. Comme il ne sera pas enseigné à l’école, on ne l’écrira pas, il ne sera pas fixé par des règles de grammaires précises et constantes, il ne servira pas, ou peu, d’outil de communication si ce n’est à l’échelon local, ce qui explique ses nombreuses variantes : c’est ainsi qu’un seau d’eau se dira selon le coin, un sé-au d’iau, un sé-yau d’iau, un séyeu d’iau, un sio d'iau, un sion d’iau.
Aux
mots français en –eau comme museau, bateau etc correspondent des mots terminés
par la diphtongue –iau : musiau, batiau prononcé "batchio" en
maints endroits par l’ajout de ce son [ch] que l’on trouve partout et que notre
patois met également sur certains mots derrière un d, mais en le sonorisant,
pour transformer un étudiant en "étudjan". Notons en passant la forme
particulière que ces mots en -eau prennent dans le Boulonnais et l’Audomarois
où un bateau se termine par une triphtongue (c.à d. en gros trois sons
prononcés en une seule syllabe) et devient un batiawe (avec un w prononcé à peu près comme
en anglais). Ceci est résumé également par le parcours du mot trou qui alterne
en traversant notre région les formes : tro, treu, et dans le
Boulonnais-Audomarois bien sûr "trèwe"
(avec cette triphtongue que je ne sais hélas pas transcrire en alphabet
phonétique)
Dans
le patois authentique, celui que parlait encore nos grands-parents, en tous cas
les miens, venus de l’Audomarois pour travailler dans les mines, les emprunts
aux migrants, ou aux envahisseurs sont relativement limités. Contrairement à
une croyance très répandue le picard comme le rouchi ont peu emprunté à
l’occupant espagnol, citons tout de même "l’agosile" (bon à rien,
abruti) directement issu de alguazil (policier). Quelques emprunts aux parlers
germaniques voisins (flamand, néerlandais) comme "dringuelle"
(prononcé parfois gringuelle en Artois) = pourboire, issu de Trinkgeld (all.) ou
de drinkgeld (flam.). On peut aussi constater de nombreuses similitudes avec
l’anglais, dans le vocabulaire et dans les structures. Goal et gayolle (cage),
garden et gardin (jardin), goat et gatte (ou selon l’endroit guette devenu
maguette = chèvre). Comparons également la structure " ch’est l’ garchon
que j’jue avec" et "that’s the
boy I play with" avec une préposition qui devient une post-position dans les deux phrases. Mais nous avons fourni à l’ anglais plus
qu’il n’a laissé chez nous, et cela se comprend car Guillaume le Conquérant
parlait le dialecte normand, qui présente de nombreuses ressemblances avec le
picard, et c’est normal puisque ces deux parlers sont issus du latin et sont en
outre géographiquement voisins. Quant à
l’épouse de Guillaume le Conquérant, Mathilde de Flandre, elle était Lilloise.
Les troupes qui gagnèrent la bataille
d’Hastings (ville jumelée avec Béthune !) comptaient donc dans leurs rangs
de nombreux prêtres, légistes, chroniqueurs (les journalistes de l’époque) et
bien sûr soldats, originaires du
Nord de la France dont les apports linguistiques se sont ajoutés aux apports
normands pour constituer peu à peu (avec d’autres ingrédients) la langue
anglaise.
Une
dernière constatation prouvera si besoin est que notre patois n’est pas issu du
français, mais qu’il est comme ce dernier issu du latin : les mots picards
sont souvent plus proches du latin que le mot français correspondant, par ex.
les mots patois qui ont conservé à l’initiale le son [k] du latin alors que le
français a palatalisé ce son en ch : ex. charbon, latin carbo, chti ou
picard carbon, chat du latin cattus, chti et picard cat,
chemise du latin camisa picard kemisse et chti kémiche.
L’histoire
du mot chaise, visitée en français, puis en picard et enfin en
"chti", illustre de façon très représentative comment un mot peut
évoluer à travers les siècles.
- Nous partons du latin cathedra (qui donnera aussi le mot cathédrale, c’est à dire l’église où siège l’évêque). Une première transformation va intervenir : avec la disparition des déclinaisons les finales sonores en a, i, o etc qui étaient des marques de cas vont devenir des [e] muets, ainsi on aboutit à cathedre. Puis, tout comme dans le mot "pater" la consonne entre les deux voyelles va disparaître : pater → pa-er , cathedre → caedre, puis disparition du [d] entre 2 voyelles comme précédemment → caère . Puis le son [a] en quelque sorte contaminé par le e qui le suit tend à s’en rapprocher en devenant lui même un e : pater puis pa-er puis père, de la même façon caedre puis ca-ère et enfin caire. Dernière transformation, le son [k] initial va se palataliser pour devenir ch : récapitulons : cathedra → cathedre → caedre → caere → chaire, mot qui en vieux français désignait ce que nous appelons en français moderne une chaise (une étape chayère est signalée par d'autres linguistes) . Pour arriver au mot chaise encore a-t-il fallu que le "r" se transforme en "s" pour des raisons qu’il serait trop long de développer ici.
- En picard l’évolution de cathedra sera moins radicale : les premières modifications vont également aboutir à caedre puis caere comme en français. Récapitulons : cathedra → cathedre → caedre → caere mais l’aboutissement en picard sera le mot cayère ou sa variante quéyère, terme picard qui désigne une chaise dans le Hainaut français et dont la parenté avec cathedra est plus visible qu’elle ne l’est sur le mot chaise puisqu'il a conservé le son initial du latin [k].
- En "chti" les modifications de cathedra ont été simplement différentes dans leur aboutissement : le [d] a disparu et le [r] s’est transformé en [l] : (phénomène très courant, puisque dans certaines régions on roule les [r] qui se confondent avec des [ l ] .Récapitulons : caedre → caere → cayère → cayelle, "chel cayelle euq’ vos êtes assis dsus" (cette chaise sur laquelle vous êtes assis).
NB : La transformation d’un [a] en [è] sous l’influence d’un [e] ou d’un [i] est un phénomène linguistique très fréquent appelé métaphonie ou mutation vocalique : on le retrouve sur gracile-grêle, fragile-frêle, fraxinus-frêne mais aussi en allemand alt-Eltern, en anglais man-men et bien sûr franc-french .
- Nous partons du latin cathedra (qui donnera aussi le mot cathédrale, c’est à dire l’église où siège l’évêque). Une première transformation va intervenir : avec la disparition des déclinaisons les finales sonores en a, i, o etc qui étaient des marques de cas vont devenir des [e] muets, ainsi on aboutit à cathedre. Puis, tout comme dans le mot "pater" la consonne entre les deux voyelles va disparaître : pater → pa-er , cathedre → caedre, puis disparition du [d] entre 2 voyelles comme précédemment → caère . Puis le son [a] en quelque sorte contaminé par le e qui le suit tend à s’en rapprocher en devenant lui même un e : pater puis pa-er puis père, de la même façon caedre puis ca-ère et enfin caire. Dernière transformation, le son [k] initial va se palataliser pour devenir ch : récapitulons : cathedra → cathedre → caedre → caere → chaire, mot qui en vieux français désignait ce que nous appelons en français moderne une chaise (une étape chayère est signalée par d'autres linguistes) . Pour arriver au mot chaise encore a-t-il fallu que le "r" se transforme en "s" pour des raisons qu’il serait trop long de développer ici.
- En picard l’évolution de cathedra sera moins radicale : les premières modifications vont également aboutir à caedre puis caere comme en français. Récapitulons : cathedra → cathedre → caedre → caere mais l’aboutissement en picard sera le mot cayère ou sa variante quéyère, terme picard qui désigne une chaise dans le Hainaut français et dont la parenté avec cathedra est plus visible qu’elle ne l’est sur le mot chaise puisqu'il a conservé le son initial du latin [k].
- En "chti" les modifications de cathedra ont été simplement différentes dans leur aboutissement : le [d] a disparu et le [r] s’est transformé en [l] : (phénomène très courant, puisque dans certaines régions on roule les [r] qui se confondent avec des [ l ] .Récapitulons : caedre → caere → cayère → cayelle, "chel cayelle euq’ vos êtes assis dsus" (cette chaise sur laquelle vous êtes assis).
NB : La transformation d’un [a] en [è] sous l’influence d’un [e] ou d’un [i] est un phénomène linguistique très fréquent appelé métaphonie ou mutation vocalique : on le retrouve sur gracile-grêle, fragile-frêle, fraxinus-frêne mais aussi en allemand alt-Eltern, en anglais man-men et bien sûr franc-french .
Dans
le même ordre d’idées, tout le monde connaît la formule « tire la
chevillette et la bobinette chera", dans laquelle chera est le futur du
verbe choir, remplacé aujourd’hui par "tomber" : transposez donc
cette phrase en patois : "tir’el kevillette et chel bobinette al
quera". Quera, futur du verbe querre , issu du latin cadere (tomber) qui a
subi presque les mêmes transformations que le mot cathedra : cadere → caere → querr(e) .
Et
s'il faut encore une preuve, nos " glènes "ne sont-elles
pas plus proches du latin galina que le terme français "poule" ?
En
résumé donc, on peut dire que le patois chti, ou chti-mi, est un rameau du
"rouchi", qui est lui même une branche du picard issu du latin comme
le français.
Obéissant
à la volonté centralisatrice de la République – et de l’école de Jules Ferry -
nos enseignants ont longtemps fait la chasse à notre patois, peut-être
n’avaient-ils pas tort, car les résultats de l’Académie de Lille à l’épreuve
anticipée de français du baccalauréat montrent à quel point nos élèves peuvent
être déroutés par des différences et parfois des ressemblances dangereuses dans
la syntaxe et le vocabulaire du français et de notre patois. Mais la
conséquence de ce bannissement est que, parlé de moins en moins, notre patois
s’est étiolé, a perdu de sa richesse, de son authenticité, et s’est trouvé de
plus en plus obligé de faire des emprunts au français. J’ai vu de la même
façon, dans la cité des mines où je suis né, mes copains polonais perdre peu à
peu la langue de leurs parents, je me souviens de ma voisine demandant à son
fils François ou il allait "Franech, gdzie idjes" et de la réponse de
celui-ci "idz do salle des fêtes, mama" : et oui, quand on n’a
plus les moyens on emprunte parfois aux voisins. C’est ainsi que la phrase
" A quoi penses-tu ?" se dit désormais en chti "A quo qu’té
pinses", là où Cafougnette disait "A quo qu’té busis ?"
Oui, Cafougnette, car je ne voudrais pas terminer cet exposé, un peu plus
sérieux que je ne l’avais pensé au départ, sans revenir sur Jules Mousseron,
petit Parisien, enfant trouvé, venu dans le Nord à l’âge de 12 ans et qui est
devenu notre chantre régional, notre Frédéric Mistral à "nou z’aut’s"
(= à nous). Les histoires de Cafougnette sont en fait des poèmes dans lesquels
Mousseron est souvent obligé d’expurger son patois, surtout lorsqu’il se met à
donner des récitals à Paris, Nancy et autres villes éloignées du Nord-PdC, mais
aussi parce que notre patois, langue populaire, n’a pas ou très peu de
vocabulaire abstrait.
Voici pour terminer l’une de mes
préférées :
Cafougnette à l’exposition.
1) J’m’appelle Joseph Cafougnette
Si vous voulez bin me’l permette’
J’vous conterai sans prétention
Em’ voyache à l’exposition
2) Donc, ej prépare eun’grand’
valisse
Bourrée d’loques et d’friandisses
A l’ gare ed peur d’êt’ in r’tard
J’étos longtimps avant l’ départ.
3) J’avoue qu’j’étos fin bénache
Ed pouvoir faire ech biau voyache
Ch’train y arrive, j’intind ch’chifflot
Ej’grimp’ dins un wagon sitôt.
4) In rout’pour Paris, l’grand’ville
Vla ch’train qui démarre habile
Ej’ténos min sérieux din ch’wagon
Comme un gaillard bin d’applomb.
5) A’z’aut’voyageurs je m’vante
Et qu’si l’vitesse est étonnante
Ch’est qu’chell machine, qui court fort,
All brûl du carbon du Nord.
6) Au bout d’4 quatr’ heures el
portière
All s’oeuv’. Ah vla l’ville lumière
Contint j’pousse des joyeux cris
Paris ! M’vla chi à Paris.
7) In vill j’ai bin peur dé m’perte
El mond’ trotinn’ d’un pas alerte
In marche dsus mes ortels
Quand j’lis l’inseigne ed ches hôtels
|
8)
Sitôt qu’j’ai cassé la croûte
Pou l’exposition in route !
Je n’sus point ichi pour moisir
Jé m’mets in d’voir ed partir.
9) Je n’trouv’ pon commint vous dire
Ches grandes beautés qu’in admire
Chti qui dit qu’y s’dout’ed cha qu’ch’est
Sans l’avoir vu, ch n’est qu’un benet.
10) Infin, vla l’journée finie
In n’a s’tiêt’ tout démolie
Ed vir tant d’belles cos’à l’fos
Ach’t’heure y’m’ faut prin’ du r’pos.
11) J’pinse ed m’in r’tourner
tranquil’
Mais tout in traversant l’ville
Chaque pas je
m’trouv’ accosté.
Pst ! Eh la ! Tu viens bébé ?
12) In m’tap’ même ed’sus m’n’épaule.
Ej’busios : "Ch’est eune affaire drôle
Din l’jour in ne m’ravisse point
Par nuit, in m’parle à chaque coin.
13) Ch’étot des belles femmes, in
somme,
All m’prénottent pour leu homme,
All’s’trompottent, je l’pins’ ainsi :
In s’perd souvint à Paris !
14) Enfin, pour finir l’affaire,
J’ai visité chell’ vill’lumière
Et din min tiot villach’du Nord
In in parlant,
j’in frissonn’ cor
15) L’pu pire, ch’est qh’din ch’ biau
voyache
J’ai esquinté tout min lingache.
D’ailleurs, vous l’intindez bien ?
J’ai cor l’accent parisien.
|
|
Lexique (pour ceux qui en ont besoin)
·
bénache :
heureux, content
·
habile (adverbe)
: vite
·
pert’ :
perdre
·
chti
qui dit qu’i’s’dout’ed cha qu’ch’est : celui qui dit qu’il se doute de ce
que c’est …
·
tièt’ :
tête
·
cos
‘ : chose(s)
·
à
l’ fos : à la fois
·
ej
busios : je pensais
·
in
ne m’ ravisse point : on ne me regarde pas
·
all’
m’prénottent : elles me prenaient
·
all’s
trompottent : elles se trompaient