Jeux d'antan : La guise
Pendant les années cinquante du
siècle dernier les adolescents que nous étions mes camarades et moi dans cette
rue de la Marne (cité du 8/ter) n'avions ni télévision, ni jeux vidéos, ni
téléphone portable pour meubler nos loisirs. Il suffisait alors de 3 morceaux
de bois pour nous occuper durant des heures pendant les vacances scolaires.
Cette rue toute droite était en effet le terrain idéal pour pratiquer un jeu
aujourd'hui disparu, mais qui se pratiquait dans tout le Nord de la France, le
jeu de guise (en bons chti-mis nous disions d'ailleurs ''juer à l' guiss''
(notre patois ne connaissant pas de consonnes sonores telles que le [ z]
en finale).
Matériel
nécessaire : un manche à balai. (Combien de mères n'ont pas maudit
leur fils en retrouvant un jour leur balai orphelin de son manche au moment où
elles voulaient s'en servir, et combien de fils ont, en rentrant chez eux après
la partie de guise, payé d'une bonne paire de gifles ce larcin nécessaire !).
Le manche à balai est découpé en trois morceaux. Un morceau de 20 cm environ
est taillé en pointe aux deux extrémités, c'est lui qui sera la ''guise''(6).
Le reste du balai est coupé en 2 morceaux de 50 cm environ. L'un d'eux servira
de batte, c'est avec lui qu'on frappera la guise. L'autre morceau est posé par
terre sur la ligne qui sépare le champ 1 du champ 2 comme le montre le croquis
(5).
Le
terrain : une rue peu fréquentée par les voitures (ce qui était le cas
en ce temps là dans cette cité des mines), si possible avec des fenêtres
éloignées de la chaussée. Trois traits tracés en travers de la chaussée,
délimitent deux champs séparés de 3 ou 4 mètres. Sur le trait central on posait l'un des 2 morceaux de balai
(5). Le jeu se pratiquait ensuite dans une seule direction (voir croquis), la
seule limite étant la distance maximale atteinte par la ''guise''.
Le jeu : il se pratique à un contre un, deux contre deux, ou
trois contre trois, rarement plus. L'une des deux équipes se positionne dans la
zone vers laquelle doit être projetée la ''guise''(3). Le premier joueur de
l'autre équipe place alors la guise sur le sol dans le champ 2, une pointe
tournée vers l'avant (le champ 3), l'autre joueur (ou les autres) attend(ent)
son (leur) tour. De sa batte le premier joueur frappe la pointe avant de la
guise qui saute en l'air et avant qu'elle ne retombe il la frappe fortement
pour la projeter dans le champ 3. Les adversaires peuvent essayer de l'attraper
au vol, ce qui ne va pas sans risques car elle tourne sur elle même au cours de
sa trajectoire. S'ils arrivent à la bloquer, le ''batteur'' a perdu et transmet
la batte à son partenaire. Dans le cas contraire l'un des adversaires ramasse
la guise et, de là où elle est tombée, il la lance en direction du bâton 5. Si
la guise touche cette cible le batteur a perdu et transmet la batte à son
partenaire ; s'il est le dernier de son équipe à jouer, il cède la place aux
adversaires et passe avec ses équipiers dans le champ 3. Si la guise est tombée
dans les jardins qui bordent le terrain de jeu le batteur perd son tour. Si la
guise n'a pas touché le bâton 5 elle est tombée dans le champ 1 ou le 2, ou au
delà, peu importe. Si elle a dépassé le champ 1 le batteur la ramasse et en se
plaçant dans la zone 7 au plus près de la ligne 6 il la lance délicatement dans le champ 1 en
essayant de la faire retomber pointe vers l'avant. Il dispose maintenant de 3
frappes pour envoyer la guise le plus loin possible dans le champ 3. Si la
guise est tombée dans le caniveau, ou si elle est tournée d'une façon
désavantageuse, le batteur peut sacrifier un coup pour la tourner dans le bon
sens ou la sortir du caniveau. S'il est habile il frappe la guise dans la
position où elle est tombée sur le sol, ce qui lui évite de perdre une frappe.
Quand il arrive à sa troisième frappe il peut renoncer à envoyer la guise au
loin pour jongler avec celle-ci et la batte : il frappe la guise au sol pour la
faire sauter et pendant qu'elle est en
l'air il l'empêche de retomber en la frappant de petits coups par en dessous
avec sa batte. Chaque coup réussi multiplie les points. S'il parvient à
maintenir la guise en l'air en la frappant 3 fois avant qu'elle ne retombe, les
points seront multipliés par 3 et ainsi de suite.
Le
comptage des points : quand le batteur a joué ses trois coups il se
dirige vers l'endroit où est tombée la guise, et de là évalue la distance qui
sépare celle-ci du bâton (5), distance mesurée en multiples de la batte comptés
de 5 en 5, donc pas question de dire 32 ou 33 mais 30 ou 35. Si les adversaires
estiment que la mesure est bonne, le batteur ajoute ce nombre aux points déjà
marqués selon ce procédé. Si les adversaires jugent qu'il a été trop gourmand
dans son évaluation, alors l'un d'eux lui emprunte la batte et mesure cette
distance un peu comme un tailleur d'autrefois mesurait un rouleau de tissu avec
son mètre rigide en bois. S'il s'avère que l'estimation est supérieure à la
mesure alors ce batteur a perdu son tour et passe la batte à son partenaire (ou
aux adversaires si tout les membres de son équipe ont déjà joué). Quand pour une raison ou une autre il
est temps de mettre fin à la partie, c'est l 'équipe qui a marqué le plus de
points qui a gagné.
Je ne sais pas si on pratiquait ce
jeu selon ces règles dans toute la région, mais c'est ainsi que nous le
pratiquions dans les rues en terre et cailloux de notre cité. On jouait
quelquefois ''à l'extérieur'', en affrontant ceux qui habitaient dans
dans les autres rues de la cité ou la partie du faubourg d'Arras (RN 43 elle
aussi moins fréquentée par les voitures que de nos jours) devenue depuis
rue Copernic, qui avait des trottoirs assez larges ... mais dont les façades
n'étaient pas séparées des trottoirs par un jardinet comme c'était le cas dans
la cité. Je ne vous dirai pas le nombre de carreaux que nous avons cassés. Le
peintre-vitrier qui habitait dans cette rue en face de la fabrique de bonbons
''le nain gourmand'' était très souvent sollicité, faut-il voir dans la fin de
la pratique du jeu de guise la raison de
la disparition de cet atelier d'artisan
? Je n'irai pas jusque là … car ''le nain gourmand '' a lui aussi
disparu emportant avec lui les effluves sucrés qui embaumaient nos parties de
guise.
Remarque : .
J'ai appris qu'on pratiquait jadis dans les Landes un jeu
qui rappelait la guise, mais aux règles plus simples, et qu'on appelait ''bire
bartoy''. Quant aux enfant de Belz, sur
la rivière d'Etel (Morbihan) ils pratiquaient sur la place du village un jeu
appelé ''tené ''(orthographe non garantie) quasiment identique à notre
''guise''.